LIBRE PROPOS : TIRAGE AU SORT, ELECTION ET DEMOCRATIE

 

POUR UNE "VRAIE" DEMOCRATIE: TIRAGE AU SORT OU ELECTION ? … et quid du REFERENDUM ?

 

Le constat, est de plus en plus partagé, que les régimes revendiquant l’appellation de démocratie, ne sont que des oligarchies , emportées dans la spirale d’un libéralisme économique mondialisé et conduites par une classe politique indécrottable, impuissante à régler les problèmes sociaux. La réaction citoyenne s'y traduit, au plan électoral, par une abstention battant record sur record, et des votes sanctions alternatifs qui sont autant un témoignage d'impuissance et de fatalisme que de mécontentement. De nombreux groupes de réflexion se développent pourtant, qui émettent des propositions, afin que notre prétendu "modèle de démocratie" soit assaini, réformé, voire, plus radicalement, transformé en "vraie" démocratie.

Parmi ces propositions, la plus drastique est celle du remplacement de l'élection par le tirage au sort. Au delà des prises de position péremptoires, parfois passionnées, d'approbation ou de rejet qu'elle provoque, sur les forums de l'internet ou lors de conférences ou débats, elle mérite l'examen le plus approfondi. Et, plus particulièrement, les trois arguments principaux qu'invoquent ses partisans : sa pratique dans la démocratie originelle, sa justification probabilistique et la garantie d'offrir une ouverture des positions délibératives aux "sans grade" et, corrélativement, de remédier à la dérive oligarchique.

 

La référence à la démocratie athénienne.

 

On sait qu’elle fait étonnamment question auprès de bien de républicains, démocrates déclarés, pour ne s’être appliquée qu’à un trop petit ensemble social, et avoir cohabité avec l’inique discrimination de l’esclavage. Il est incontestable, cependant, qu’elle constitue l’exemple historique premier et maximal de possession et d'exercice direct, par le peuple, des pouvoirs de gouvernement d’une société organisée.

Le mot nouveau désignant ce régime politique ne saurait, donc, s’appliquer à une quelconque forme d’oligarchie - partisans et ennemis les différentiaient et les opposaient sans ambiguïté.

Dans la démocratie athénienne, le tirage au sort jouait un rôle essentiel, quoique non exclusif. Son objet rejoignait la préoccupation de ceux qui le préconisent aujourd’hui. Après des décennies de gouvernements oligargiques et de tyrannie, il s'agissait de prévenir les tentatives de confiscation des pouvoirs par ceux qui n'étaient poussés que par l’ambition personnelle. Mais, il faut remarquer que des conditions particulières se prêtaient à son adoption.

Dans la Grèce antique, politique et religion étaient intimement liées. S'en remettre au sort, c’était s'en remettre aux dieux et à la fatalité acceptée (Anankè). Le problème de compétence ne se posait donc pas, puisque les dieux pouvaient soutenir les défaillants. Les bouleutes (membres de l’Assemblée des Cinq-Cents), heliastes ou magistrats n'étaient soumis qu'à un examen minimal : la docimasie.

Le tirage au sort affirmait un principe premier : l’égalité d’accès de tous les citoyens à l’exercice des fonctions publiques. Et il ne s'agissait pas seulement d'une égalité de droit, mais d'une veritable égalité de pouvoir. La fréquence des tirages, la faible population concernée et la durée réduite des mandats, permettaient à la plupart de ceux qui y prétendaient, d'occuper ces fonctions, au moins une fois dans leur vie. Il fallait être volontaire, mais la faible rétribution accordée restait peu attractive.

L’élection n’était pas absente. Elle s’appliquait, notamment, aux fonctions essentielles des dix stratèges, donc des généraux et était reconductible. Ainsi Périclès put officier dix-neuf ans, pendant le siècle d’or de la cité, auquel on donne communément son nom. Tirage au sort et, à un moindre degré élection, étaient utilisés, pour l’exercice de fonctions préparatoires des délibérations (boulè) ou exécutives. Mais la délibération elle-même revenait au peuple réuni dans l’Ecclesia. Au Ve siècle avant notre ère, à l'époque de Périclès, la démocratie est maximale et l'Ecclésia vote tout, toute seule.

C’est ce qui donne à la démocratie athénienne la caractéristique primordiale de démocratie directe.

 

La représentabilité du peuple et l’expression de sa volonté

 

Remarquons tout d’abord, que le tirage au sort comme l’élection, relèvent du type de démocratie indirecte. Toutes deux sont des tentatives de résolution du problème de la représentabilité de la volonté du peuple. L’une se fonde sur les règles des probabilités et statistiques, l’autre sur le principe du mandat. Dans tous les cas, même en démocratie directe, avec le vote de tous et la règle de la majorité, il s’agit d’organiser le régime démocratique de manière à faire confluer la somme innombrable et protéiforme des volontés individuelles en une seule et même volonté. La difficulté de la conversion d’ensembles composés de petits éléments innombrables en un équivalent globalisé, bien connue des scientifiques, est encore accentuée quand il s’agit d’ensembles humains.

 

Mais, renoncer à faire émerger la meilleure expression possible de la volonté populaire, afin qu’elle gouverne, serait renoncer à toute transformation générale des oligarchies dites démocraties existantes, en régimes dont le fonctionnement soit profondément démocratisé. Il s’agit donc d’étudier, le plus objectivement possible, les avantages et inconvénients, ainsi que les possibilités de remédier aux défauts constatés, des trois moyens de cette représentation : l’élection, le tirage au sort et le référendum.

 

La délégation en matière de législatif

 

Selon notre étude ( http://www.la-democratie.fr/competence.htm ) et l’expérience des grandes catastrophes historiques provoquées par de nombreux dirigeants, la question qui se pose n’est pas, comme on l’avance souvent, celle de la compétence du peuple. C’est celle de la possibilité matérielle pour lui, de décider de tout, à tout moment. A l’échelle d’une petite société, c’est concevable, mais dès que le nombre croît et que l’espace sur lequel est répartie la population est étendu, la difficulté devient insurmontable. On ne peut négliger le fait que la grande masse des citoyens doivent se consacrer à des occupations essentielles pour leur subsistance et celle de leur famille et n’ont pas tout le temps nécessaire pour participer, en permanence, à des choix de gouvernement de la société. La résolution du dilemme démocratie-efficacité passe alors par deux sacrifices non négligeables de souveraineté du peuple : la délégation de l’action à un Exécutif et la part du domaine législatif qu’il ne peut objectivement assumer, à des personnes, élues ou tirées au sort, censées le représenter. Tout le problème est de savoir, jusqu’où peut aller cette délégation. Il est évident que le caractère démocratique d’un régime sera d’autant plus élevé qu’elle sera moins étendue et contrôlable, amendable, révisable et sanctionnable. En démocratie, le principe de délégation ne saurait se fonder sur un dévoiement de souveraineté, ni même sur un dessaisissement ou un renoncement du peuple. Il ne peut reposer que sur le postulat de représentabilité de la volonté populaire qui implique une représentativité avérée et une déontologie parfaite des délégués choisis. Ceux-ci doivent donc, avoir des vœux propres identiques à ceux du peuple ou connaître ses choix, par un mandat précis, et les servir scrupuleusement, en toute circonstance. Si ce postulat se vérifiait, l’accord devrait exister entre la volonté populaire et les décisions de ses représentants. Deux manières peuvent être envisagées pour y arriver : ? l’une, le tirage au sort, est fondée sur la statistique, ? l’autre, l’élection, sur le mandat. Dans le premier cas, les représentants doivent constituer un échantillon représentatif du peuple – objectivement, le tirage au sort, pratiqué par les Grecs, avant le développement de la science statistique, a du sens. Dans le deuxième cas, les prétendants à la représentation (candidats à l’élection) ayant affiché leurs positions sur les grandes questions à régler, doivent être élus par le peuple, sur la base de ces positions a priori, et prendre son avis, autant que de besoin, sur les questions survenant a posteriori. ROUSSEAU ne concevait pas que la souveraineté puisse se conserver dans la délégation : « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale et la volonté ne se représente point ; elle est la même ou elle est autre ; il n'y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que des commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le Peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle ; ce n'est point une loi. » (« Du Contrat Social ») On doit reconnaître, en dehors de toute considération théorique ou philosophique, que l'examen des faits ne vérifie pas vraiment le postulat de représentabilité.

 

Analyse de l'application du tirage au sort, aujourd'hui, à notre République

 

De nos jours dans une république, le tirage au sort ne saurait être reconnu autrement que comme produit simple et neutre du hasard, incertitude issue de la complexité et du nombre, dont la causalité est inaccessible et les effets ne peuvent être pressentis qu’en termes de probabilités. On ne peut plus s'en remettre à la volonté des dieux ni invoquer la fatalité, pour expliquer erreurs de décisions ou choix funestes ni exonérer de toute responsabilité les dirigeants tirés au sort qui, à la place des élus, auraient à légiférer ou, aux divers niveaux de l'Exécutif, seraient appelés à gouverner et appliquer les lois.

En revanche, les lois mathématiques des Statistiques et Probabilités, appliquées aux sondages d'opinion pour déterminer l'intervalle de confiance (en fait, la marge d'erreur la plus probable), nous enseignent que le résultat du vote sur un choix à effectuer, par un échantillon de 1000 individus tirés au sort (la taille approximative de nos deux assemblées parlementaires) dans la totalité d'une population bien plus nombreuse, ne s'écarte pas plus de 3% du résultat que l'on aurait obtenu sur l'ensemble. Toutefois, cette erreur la plus grande, se produisant pour les choix les plus delicats à trancher (autour de 50%-50%), un examen plus précis montre que l'inversion des résultats est possible dès que les résultats entrent dans la fourchette 55-45. N.B. Nous n'évoquerons pas ici la question sous-jacente de la compétence, car le système électif a tellement failli que ce point ne serait pas décisif pour départager les deux options. Mais nous y reviendrons pour l'avoir déja étudiée, dans le cas de la démocratie directe (http://www.la-democratie.fr/competence.htm). Autre différence : au regard du nombre actuel de citoyens, le tirage au sort ne leur donnerait qu'un droit de principe, mais pas une réelle possibilité, de participation au gouvernement et aux charges publiques. C'est une évidence mathématique. Avec un nombre supposé de 50 millions de citoyens, la chance d'être tiré au sort, dans une Assemblée de Cinq Cents ne serait que de 0,001%. Il faudrait 100 000 tirages pour qu'un individu ait, dans sa vie, comme en Grêce, la réelle possibilité de siéger dans l'équivalent de la boulè (soit plus de 100 renouvellements/mois de l'assemblée, ce qui est évidemment impensable). C'est, sans doute, la plus grande dégradation pratique de l'adoption du tirage au sort à notre époque, au regard de l'époque grecque. Il ne permettrait pas à tous d'accéder à des fonctions de gouvernement. Et, quand on voit comme une garantie de démocratie, qu'il permette à "n'importe qui" et aux "sans grade" d'y prétendre, le souci d'exactitude oblige à rajouter : "très peu", "si peu", "trop peu" d'entre eux.. Le corollaire de cette faible proportion de citoyens pouvant accéder aux fonctions de gouvernement par tirage au sort est que, par différence, la quasi totalité des autres ne pourraient jamais exprimer leur volonté légalement, pas même pour une élection. Ils seraient de simples sujets sans accès aux pouvoirs de gouvernement. Le lien entre demo et kratia serait tout aussi distendu que par la confiscation oligarchique. La démocratie serait minimalisee, pour ces raisons d'échelle et d'impossibilité concrète, là où, à Athènes, elle trouvait la réalisation de ses principes d'égalité et d'engagement civique généralisé. Il faut s'attendre à ce que, dans un tel cas, les sondages si décriés, prennent encore plus d'importance, ou tout autre moyen de la manifester. Les arguments développés plus haut montrant les defauts rédhibitoires du tirage au sort comme moyen exclusif de représentation du peuple, n'xcluent pas qu'il puisse en être fait usage, en certaines circonstances ou pour remplir certaines fonctions. Si l'on considère la faible utilité d'une deuxième chambre comme le Sénat et le caractère aussi peu démocratique que représente son élection au second degré, on peut penser que son remplacement par une nouvelle assemblée tirée au sort, pouvant emettre certains types d'avis susceptibles d'entraîner des reexamens de projets de lois, jouer un role en matière de declenchement ou de deroulement de référendums, de propositions de lois, aurait des effets positifs ... Ce groupe statistiquement representatif institutionnalisé, donnerait beaucoup moins de poids aux sondages

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